"L'école du futur"

Ce reportage, dans un "20 heures" de France 2, est intéressant à analyser, sur ce qui fait la force de la pédagolâtrie quand elle se médiatise.
Le goût des paillettes, dans une certaine idéologie pédagogique, est une aubaine, à chaque fois qu'un journaliste veut faire un court-métrage.

Court-métrage complet

 

Date de sortie : 15 janvier 2017



Analyse filmique

 

Séquence 1 : "Comme sur des roulettes"


Voix off  : "Finis les élèves en rang d'oignon, ici ils sont mobiles."
C'est la script qui dit "Action", avec "Vous vous mettez par groupes", et les comédiens s'exécutent.
Probablement à cause d'un manque de temps pour les répétitions, le mouvement manque un peu de fluidité: chacun s'agite sans avoir une idée claire de la trajectoire qu'il doit suivre et de l'endroit où il doit aller.
Au premier plan toutefois, on note un looping harmonieux.
Par opposition, on a une pensée émue pour les figurants en arrière-plan, ceux qui n'ont pas été retenus, semble-t-il, pour participer à l'action, et qui restent sagement assis, immobiles, regardant avec envie ceux qui gigotent.

Séquence 2 : "Le Code a changé"


Gros plan sur la tablette numérique. "Finis les cahiers", dit la voix off, mais on note quand même du papier, sur la table.
On a une petite incohérence dans le scénario. Pourquoi flasher un QR-Code imprimé plutôt que charger le document directement sur la tablette numérique?
Si ce n'est pas un faux-raccord, le spectateur se dit que la suite de l'intrigue donnera une explication.
Une autre intrigue à suspense concerne la feuille: que va-t-elle devenir, puisque les cahiers sont finis? On peut supposer que les élèves la colleront sur leur tablette. On ne sait pas, alors on s'accroche à l'histoire.

Séquence 3 : "Back to the future"


Petit flash-back, avec un personnage-clé: la principale du futur, celle qui est à l'origine de l'intrigue.
On se dit que pour du cinéma d'amateur, il y a une bonne qualité. On ne sait d'où elle vient ni où elle va, mais la démarche est dynamique, et la comédienne a bien compris un principe essentiel, pour ne pas casser le "quatrième mur": ne pas regarder la caméra.
Elle a du mérite, dans ce couloir vide et sans rien d'intéressant, à ne pas regarder l'équipe de tournage, seul élément qui pourrait assez naturellement attirer le regard.
La référence cinématographique à Shining est transparente, et on apprécie cet hommage aux grands réalisateurs.

Séquence 4 : "Sur le banc"


Voix off expliquant l'intrigue : "Elle s'est inspirée de la Suède".
Pour le style cinématographique aussi, on a des clins d'œil à Bergman, dans sa période d'absurde et d'humour poétiques.
Les banquettes sont des espaces de travail informels, tout y est spontané, mais le "travail d'art plastique" y est déjà prêt, sorti du sac, avant même que le personnage principal n'entre dans le champ.
Au centre, un figurant range ses affaires, afin de suggérer au spectateur qu'une autre action a eu lieu.
À droite du cadre, une autre figurante, qui n'a pas bien lu le scénario, semble préoccupée par d'autres questions, de type: "Y aura-t-il des frites à la cantine?"
Cela permet à la diégèse de ne pas monopoliser les plans, on laisse des petites touches hors-intrigue.

Séquence 5  : Les poufs ("On n'est pas bien, là…?")


Une clé essentielle est donnée dans le dialogue : "C'est vraiment moins collège, quoi."
L'éducation du futur, c'est l'éducation qui tente de se faire pardonner d'éduquer. Le but ultime de l'école est de ne pas ressembler à une école.
On apprécie l'art du contrepoint. C'est le même personnage qui apparaît d'abord en se cassant le dos pour tenter d'écrire sur une feuille posée sur rien de stable, puis qui réapparaît pour donner la substantifique moelle de la pédagogie du futur: "Ça donne un peu plus envie de travailler."
Il dit cela affalé, sans rien lire, sans rien écrire, les bras ballants.
En arrière-plan, des élèves en anorak soulignent le contraste savamment établi entre les mots prononcés dans la bande-son et les images.

Séquence 6 : "Preuve à l'appui"


Si certains surcadrages (la salle de classe vue à travers la fenêtre d'une porte) rappellent le cinéma de Renoir, on voit aussi, avec la tablette montée sur robot, que le réalisateur ne dédaigne pas la culture populaire: le clin d'œil à Big Bang Theory est sympathique.

Voix off : "Les résultats sont là", plus chiffres.
On apprécie l'ironie.
Le ton sentencieux pour une affirmation où rien n'est analysé, où corrélation et causalité sont joyeusement confondues, fait sourire.
Post hoc ergo propter hoc.
Un film humoristique, mais où l'humour est suggéré sans insistance, sans procédé de comique appuyé: on laisse le spectateur réfléchir, on fait confiance à son intelligence pour apprécier l'absurde.

Séquence 7 : "Mission to Mars"


Montage alterné : séquence sur un autre lieu, avec une autre intrigue.
On apprécie les clins d'œil au cinéma plus ancien, avec avatars dans une esthétique très 80's.
Un gros plan sur un écran vient ironiquement nuancer l'éducation du futur. Pour ces élèves de terminale scientifique, le jeu innovant consiste toujours à savoir lire un graphique.
À l'exception des fautes d'orthographe, l'innovation semble très modérée.
Ce n'est pas de la science fiction à proprement parler, mais une parodie de science fiction, comme dans l'excellent Mars Attacks!. D'où le choix de la planète, probablement.
Ce court-métrage est plein de citations. C'est un véritable hommage au cinéma.

Séquence 8 : "L'intrus" (Spoiler alert et happy end: il a été trouvé.)


Bande-son : "Vous pouvez utiliser vos téléphones, bien entendu, comme d'habitude."
Si c'est "bien entendu" et si c'est "comme d'habitude", on a une réplique un peu artificielle, qui s'adresse en réalité aux spectateurs.
Pour la cohérence du film, elle est quand même adressée aux élèves.
Le scénariste a conscience qu'un abus du procédé de la voix off finirait par paraître pesant et par plomber le film.
Le cours est "magistral", mais flashé par téléphone sur un QR-Code imprimé. Comme il est naturel en science, il est complété par un T.P.
Si on n'était pas sur Mars, on serait tenté de se dire qu'on est dans un film assez classique.

 

Conclusion : le syndrome Keating

Comment expliquer la naïveté avec laquelle pédagolâtres et journalistes font passer des paillettes pour une révolution, sans jamais se poser les questions essentielles, sur ce qu'on enseigne et sur ce qu'on apprend ?
Je forme l'hypothèse que la cause est à chercher dans le succès de Dead Poets Society.
Ce film, vu sans esprit critique, a provoqué des ravages, dans les esprits des uns et des autres.

C'est le cinéma de l'éducation conçue comme un film.

Peter Weir - Dead Poets Society (1989)

(À noter ci-contre, dans un épisode de Friends, une bonne analyse de Dead Poets Society, dès lors qu'on prend un peu de recul sur la simple efficacité filmique - car, cinématographiquement, le film est bien "fait".)

À l'opposé, imaginons un professeur qui ne se mettrait pas en scène, debout sur une table.
Imaginons des élèves qui écouteraient, parleraient, liraient et écriraient. 
Des élèves qui apprendraient des trucs.

Cela ferait du très mauvais cinéma.
Dans l'esprit de ce petit monde, ce serait donc du très mauvais enseignement.